Le début de cette journée, aurait du me paraître plus profond, plus cérébral, que ces quelques toiles naïves.
Dans une salle de la forteresse du Castell Sant Ferran, sur les hauteurs de Figueras, avait lieu une exposition/conférence; quelques artistes catalans exposaient des peintures et des photographies qui pour la plus part d'entre nous, Français, évoquent des camions qui passent les Pyrénées, ou au mieux un glas qui sonne.
Pourtant en cette année 1939, le Furer n'est pas le seul dictateur qui effraie l'Europe. Quelques 100 000 Espagnols inquiets pour leurs libertés, chassés par la barbarie, vont fuir vers la France. Par le col d'Arés à Prats de Mollo, par le col du Perthus ou par la route de Cerbère, ils vont faire « La Retirada » (retraite) et se retrouver dans des camps sommaires, aux allures de prisons. Pourtant mêmes ces conditions extrêmes, valaient mieux que l'obscurantisme réactionnaire et castrateur qu'imposaient l'église et El Caudillo !
« Machado dort à Collioure,
Trois pas suffirent hors d'Espagne,
Que le ciel pour lui se fît lourd,
Il s'assit dans cette campagne,
Et ferma les yeux pour toujours » L.A.
« Fédérico tomba mort
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du sang sur le front,
du plomb dans les entrailles.
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... C'est à Grenade que le crime eut lieu. » A.M.
Voilà, où j'aurais du en être, quand un conférencier Espagnol commençât un discours commémoratif de cette période; mon espagnol très rudimentaire ne me permettait pas de comprendre quoi que ce soit, et l'acoustique de la salle n'était au final, pas propice à l'exercice. Je restai donc assis, sur un banc de bois, me contentant d'applaudir quand tout le monde applaudissait. Il y eut encore un temps de chant, repris en coeur par l'auditoire.
Puis, comme une libération, le début de l'apéritif est venue; à l'autre bout de cette immense salle, au plafond voûté, des tables étaient dressées, avec des amuses-bouches et 4 serveurs s'occupaient des boissons. L'approche de la foule était timide, personne n'osant être le premier à mettre la main dans les plats. Les plus hardis, s'étaient approchés très prés et lorgnaient, essayant de décortiquer des yeux les petits-fours, afin d'en deviner la composition. E t comme toujours en pareille occasion, il y eut « le plus hardi de la portée » qui attaqua un plat. Sous les yeux mi-réprobateurs, mi-admiratifs du reste de l'assemblée, il demandait déjà une coupe de champagne quand enfin le troupeau suivît.
Par respect pour sa famille, même si je le connais, je tairais son nom.
Après quelques friands, je suis sorti pour attraper un peu de vent et fumer aussi. J'ai trouvé dommage que le chemin de ronde ne soit pas accessible au public, la vue doit y être spectaculaire. Pied de nez à cette journée, qui est aussi celle du remerciement des réfugiés Espagnols au peuple Français qui les accueillît lors de la retraite, nous sommes dans un édifice érigé pour résister à l'envahisseur ... français ! Construite au 18ième , selon le « système Vauban » et il fût l'une des plus grande citadelle d'Europe, à la réputation d'invulnérabilité.
L'esprit était, pour sa part, bien nourri; mais l'heure était à de la nourriture moins spirituelle. Donc, nous avons suivi « le plus hardi de la portée », celui dont je vous ai déjà parlé plus haut. Lui, savait où il fallait aller! Nous sommes descendus jusqu'au centre de Figueras, passés devant le Téatre-Museu Dali et enfin, Narcis Monturiol, 3, nous étions arrivés. Sur le trottoir, des tables et des chaises sous une bâche verte et des gens qui parlent, qui mangent et qui parlent (assez) fort.
A l'intérieur de l'établissement, un comptoir, comme celui d'un bar et une petite salle du genre bistrot. C'est la base du concept LIZARRAN TAPAS: au comptoir, des tapas en self-service pour manger sur le pouce et la partie plus « classique », plus « bistrot » où l'on trouvera toujours les tapas, mais aussi une carte avec des plats plus traditionnels. A ma grande surprise, il ne fait pas si chaud; une magnifique clim s'occupe de rendre malade celui qui est dessous et de rafraîchir les autres clients.
Nous étions assis depuis peu, et la salle commençait à se remplir doucement, des autochtones bien entendu, mais pas que. Une tablée d'Anglais derrière nous et une autre de belges ou de Français « du nord ». Ce n'est pas tant la couleur qui me fait dire ça, non, ce serait plutôt la propension à apprécier, bruyamment, un certain liquide typique du schnord ou de la perfide Albion.
Chacun se levait, pour aller au comptoir choisir ses tapas; une gageure, il y en a plus de 350. Saumon fumé, farci au fromage crémeux doux, Bâtons de crabe à la ciboulette fraîche, morue sur tomate confite avec vinaigrette aux olives noires, piquillos et filets d'anchois séchés, longe grillée avec oeuf de caille au plat, véritable saucisse de Navarre grillée, foie frais grillé avec réduction de Pédro Ximenez ou encore rillettes majorquines au paprika avec du brie gratiné. Plus de 350 je vous dis!
Nos voisins anglais trinquaient de plus en plus vivement, bière après bière, ils refaisaient l'empire et poussaient les chaises. Les Chtis, eux, étaient en admiration et aussi en ébullition devant le vin blanc local que leur versait un serveur, à la manière du thé au Maroc : en éloignant le verre de la bouteille de plus en plus. Il faut reconnaître que ce serveur, était particulièrement « commerçant »; il connaissait tous les mots utiles, en anglais, en français par exemple : bière, beer. Il était multi-tatoué, clinquant et décoré comme un arbre de Noël avec tous ces bracelets. Des Crocs, bien sur, l'hiver, il doit faire la saison à la neige. Après tout, peu importe, il était serviable, actif et sympa.
Nous en étions là, à déguster des tapas dans une auberge espagnole, quand une cloche retentît, le même son que celle des vaches suisses; et immédiatement aprés la cloche, une voix, venue du bar hurlât : calliente !!!! Dans la même seconde 2 serveurs sortent de la cuisine, une ardoise dans les mains et dessus des tapas fumants. A partir de là, les habitués n'ont pas de problème; pour les novices, dont j'étais, c'est une bonne odeur qui file sous mon nez et disparaît dans les assiettes des clients avant que je comprenne.
Promis, je fus plus vigilant les fois suivantes; c'est ainsi que sont servis les tapas chaudes, alors que les froids sont en self au comptoir.
En buvant un café, je me disais, qu'il était très facile de s'installer dans ce genre d'endroit, à plusieurs amis ou en famille et d'y rester très longtemps. Je n'avais pas vu le temps passer et manger ces « petites choses » tout en refaisant le monde est très dangereux.
Une dernière info, avant de partir : chaque tapas est transpercé d'une pique, un gros cure-dents en quelques sorte; c'est à partir de leur compte que votre note est établie...
Ce fût une belle journée au pays Salvador Dali, présent partout; une journée à son image : surréaliste!