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4 janvier 2010 1 04 /01 /janvier /2010 23:31
 

Il y a la famine, les guerres, la sécheresse qui déciment des populations entières.

Il y a la crise, destructrice, qui met sur la paille des familles entières.

Il y a les religions, la violence, l'érosion qui détruisent d'autres familles entières.

Il y a la solitude, les TOC, l'égoïsme qui démolissent entièrement des êtres.

Il y a aussi tous les drames personnels, qui sont les plus graves du monde :

La maladie des êtres chers, leur disparition parfois.

Et pourtant, je me plains!

Oui, je sais, tous ces malheurs dépassent de beaucoup ma « petite plainte d'occidental bien nourri ».

Oui, je sais...

Mais pourtant, je me plains!

Eh quoi! Si j'arrête de me lamenter sur mon propre sort, tous les maux de l'humanité cesseront sur le champ? Si seulement...

Je pleure sur le monde, sur l'humanité, et je ne suis ni un ange, ni la personne qui agit le plus ou le plus efficacement contre ce qui me fait pleurer.

Je suis un être avec ses contradictions dans un monde rempli de contradictions.

Mais il reste le bien et le mal, profondément, fondamentalement, celui avec lequel, malgré mes contradictions, je ne transige pas. Je suis convaincu que certains actes et certaines paroles sont, gratuitement, malfaisants et injustes et si je ne dois garder qu'une seule et unique foie, ce sera celle de la justice pour l'humain.

Il y a 50 ans, le 4 janvier était déjà une journée funeste, et en ce jour anniversaire de ta disparition, nos heures sont, hélas, toujours funestes.

Nous n'avons pas plus appris de toi, de ton œuvre que de tant d'autres, quand il est question d'amitié, de concorde, de justice, d'humanisme, nous répondons invariablement, sous une forme ou une autre: profit.


Il se prénommait Albert et disait (entre autre):

« Au bout du compte, s'il faut choisir entre la justice et ma mère, je choisis ma mère. »

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2 janvier 2010 6 02 /01 /janvier /2010 23:59
N'y voyez là aucune enie de "donner" un conseil, non, seulement la simple envie de communiquer sur un endroit que j'ai "découvert" tardivement, je l'avoue...
Le canal du midi, comme ouvrage, suscite mon intérêt, et je n'avais visité que Naurouze (le partage des eaux) jusqu'à présent; pourtant le lac de St Ferréol, son musée et ses jardins sont eux aussi passionnants. Je ne vous raconterai pas le canal du midi, soit vous connaissez, soit quelques clics sur un moteur de recherche vous en apprndront bien plus. Au-delà du côté historique, reste un endroit magique, d'une grande beauté et quiétude où l'on peut passer une journée ou quelques heures à s'émerveiller, s'aérer, s'amuser...
Bonne découverte.

St fereol retenue eau dec 2009St Fereol couchant2 dec 2009
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30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 23:08
Hello,
Je reviens sur mes pas de quelques semaines; hélas pour poster une mauvaise nouvelle!
L'adresse, ci-dessous, dont je vous avais parlé, a brûlé...
Un incendie, dont l'origine n'est pas à ce jour déterminée, a emporté AL CASOT et surtout a bien failli emporté aussi son propriétaire.

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Bonjour à tous,

Aujourd'hui, pas d'histoire, pas de récit, simplement une tranche, fine, de vie simple.
Je voudrais faire connaître, à ceux qui ne l'auraient pas déjà testé, un restaurant en bord de la D 115, à La Forge (commune de Reynès). Une route bien connue de tous ceux qui se rendent à Amélie-Les-Bains, à Palalda ou encore à Arles sur Tech.
Certains le classe plutôt dans les "Snacks-Bars", mais au fond peu m'importe, c'est un endroit où l'on peut se restaurer! Et de fort belle manière, à peu de frais. Le client participe un peu au service, passe sa commande au comptoir, avant de s'assoir, mais l'ambiance familiale et le service rendu valent trés largement cette petite sortie de temps en temps.
Je vous invite AL CASOT DE LA FARGA.
ici:

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12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 07:32
 

En longeant le quai, ce matin là, je fus surpris; tout me semblait beau! Le léger clapotis de l'eau sur la coque des bateaux, la mélodie du vent qui jouait dans les manilles. Et l'odeur! Celle de la mer, qui entre dans la ville par le port, celle de la pêche dans les cales des chalutiers.

Suivi pas à pas par le soleil, déjà haut dans le ciel, je passai devant les étals, gorgés de poissons frémissants; quelques femmes à l'allure de matrone interpellaient les badauds, avec dans leurs voix cet accent, si caractéristique, qu'elles semblent chanter. En retrait sur les bateaux, leurs hommes, des pêcheurs qui étaient de retour après une nuit en mer, regardaient ce manège en buvant du café. Dénouer, réparer et plier les filets, laver le pont, ranger les casiers , il y avait encore tant à faire, avant de profiter d'un repos bien mérité.

Le banc n'était plus loin, à présent. Le banc, « ce banc, et pas un autre », était notre point de rencontre; pourquoi, cela n'a jamais vraiment été clair dans mon esprit, sans doute était-il proche d'un arrêt de bus! Ou bien était-ce la toute petite boutique, en face, de l'autre côté de la rue, sous les arcades du quai des Belges? 2 mètres de large sur 3 ou 4 de profondeur, un comptoir vitrine et en vente tout ce qui pouvait s'imaginer de sandwiches et boissons gazeuses. Mais par-dessus tout le meilleur « américain » du monde!

Assis, je regardai scrupuleusement, ceux qui s'arrêtaient, les gens qui descendaient, et je me posai mille questions. Où va ce monsieur à l'air pressé? Et cette dame qui hésite?

Un parfum entêtant m'extirpât de mon étude sociologique; certainement quelqu'un qui avait un rendez-vous galant et qui avait laissé cette trace en frôlant mon banc.

Rendez-vous!!! Moi aussi j'avais un rendez-vous! Qui n'était, d'ailleurs, toujours pas arrivé. Quand, enfin, au quatrième 35 qui stoppait, un flot humain l'amenât jusqu'à moi. Elle pressât son corps contre le mien et je sentis naître une envie que je ne savais pas nommer et que je ne connaissais pas non plus très bien. Le programme, simple, était justement qu'il n'y en avait pas vraiment un. Nous commençâmes à remonter cette avenue, qui trempe ses pieds dans le port et pose sa tête aux Réformés. Je serrais sa main dans la mienne, comme mon plus précieux trésor; je n'avais jamais vu de mains aussi petites, des doigts si fins, et avec ça d'une douceur envoutante. Un bar, une grande agence de voyage, une boutique de cartes postales pour touristes, un tabac, les devantures défilaient.

Aujourd'hui encore, je ne saurais expliquer ce qui nous poussât à prendre cette petite rue, ni ce qui nous arrêtât devant cette porte vitrée où étaient affichés prix et prestations du lieu. Un billet de 50 francs, en échange d'une clef et quelques volées de marches plus tard, nous étions dans une chambre. Nous étions adolescents tous les deux, la facilité d'accès m'étonne encore.

Le mobilier était vieux, la tapisserie sur les murs, pas très jolie, mais je crois que nous n'y avons pas prêté beaucoup attention. J'étais planté au milieu de la pièce, espérant de l'aide, qui ne viendra jamais. Elle passât à côté de moi, pour déposer sa besace de GI, sur la chaise. Son parfum s'enroulât tout autour de moi, m'invitant à me retourner, ce que je fis.

Les volets, derrière les vitres, étaient mi-clos; elle était là, entre la fenêtre et moi et par le jeu, magique, du contre-jour, je pouvais distinguer les courbes de son corps. J'aimais ce que je voyais.

Chacun de ses gestes était précis, millimétré, exécuté avec une extrême fluidité. Un peu comme au ralenti, ses vêtements glissaient un à un sur le sol. Elle me murmura: «Viens! », le son de sa voix me tirât de l'état contemplatif dans lequel j'étais plongé; je ne pouvais plus quitter des yeux son corps nu. Elle saisit ma main et m'attira vers elle; au moment où elle entrât dans mes bras, j'entrai dans son monde. Un monde sensuel, désinhibé.

Je voulais avoir plus de mains, pour caresser son corps partout en même temps! Je voulais tellement ne rien perdre, elle était si désirable, j'adorai ses boucles tombants sur ses épaules, la peau fine de son cou, ses seins, ses hanches et sa taille de femme. Elle s'allongeât sur le ventre, malgré la pénombre, je la distinguai parfaitement, bronzée, sur fond de draps blancs. Je me lovais au creux de ses reins, contre ses fesses, non sans avoir pris quelques lumineuses secondes pour les contempler. Étendus sur le lit, mon éblouissement fût total, il y avait de la sueur sur nos fronts; le sublime m'emportât aux confins d'un monde suave et enchanteur.

Dehors, des voitures klaxonnaient, des gens allaient et venaient sur les trottoirs, les restaurants préparaient les tables, les belles de nuit commençaient leurs cent pas, la vie nocturne s'installait peu à peu à l'Opéra.

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6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 06:54
 

On leur avait dit: pour le meilleur et pour le pire!

Ce soir de la buée envahit les yeux de Pascal, le cœur serré il cherche son bonheur. Il en est sur c'est Morgane, mais le veut-elle?

Tant d'années, il a cru aux chimères, mais le souffle de cette comète l'a pétrifié. Le prix de l'Amour est très, très élevé; trop lourd à porter pour qui a le goût amer de l'abandon dans la bouche.

Pascal revoit les images de leurs 2 corps mêles, rien n'efface les coups de griffes de Morgane; et tout au fond de lui, il pense qu'il a déchiré sa chair sur ses récifs.

Morgane est là, si prés, étendue sur ce lit, pourtant il ne peut l'atteindre, désespérément il cherche à exister dans sa vie quand toutes ses certitudes se sont effondrées. Il meurt de ses absences, ne vit que pour ses retours; sur cette route sinueuse, Morgane disparaît à chaque virage.

Quelle est sa chance s'il l'a perd?

Il s'accroche à tous ses parfums, celui de ses foulards, coquins, de son corps entre ses bras, envoutant.

Pascal ne sent plus en lui, cette force immense qui l'aidait à traverser les tempêtes et autres coups durs. Ce courage, cette foie, intenses, qui faisaient sauter tous les verrous.

Mais ce soir, en passant la haute grille, un verrou s'est fermé, et Pascal a quitté une jeune femme en équilibre précoce au bord du vide.

La veille, lors de son rendez-vous, Morgane et son docteur étaient convenus d'une hospitalisation. Tout fût réglé rapidement, l'arrivée fixée pour le lendemain. Pour un œil extérieur, les préparatifs, bagages et autres recommandations avaient tout l'air d'un départ en vacances, et si ce n'était le visage tuméfié et les yeux rougis de Morgane, l'illusion aurait été parfaite.

Elle avait pris, elle-même, la décision, semblait calme, pourtant une immense tristesse se dégageait de tout son être. Relâchée, soulagée comme évoluant à côté d'elle même.

Pascal venait de boucler la dernière valise, il ne réalisait pas vraiment; il était sur le point de dire au revoir à son amour, mais pas sur le quai d'une gare.

Le trajet en voiture fût étonnamment « normal », Morgane et Pascal évitaient tout ce qui n'était pas banalité. C'était l'affaire d'une dizaine de kilomètres.

Les bâtiments étaient vétustes, mais le parc, lui, était magnifique. Planté de grands cèdres et clairsemé de quelques parterres de fleurs aux couleurs vives. Morgane avançait dans l'allée sans en profiter, ni même voir cette beauté. Elle devait plutôt être sensible à l'immonde ceinture qui entourait cet écrin et ne trompait personne sur la véritable nature du lieu. Un muret bas, surmonté de lourdes grilles métalliques, contenaient la liberté, en laisse.

Passées les formalités administratives, Morgane et Pascal suivaient un infirmier dans un dédale de couloirs. Ce dernier avait un air aimable, mais aucun sourire n'éclairait son visage. Sans doute la promiscuité quotidienne avec un si grand rassemblement de détresses humaines.

Les peintures sur les murs étaient d'un aspect neuf, sans doute refaites récemment, mais les couleurs étaient de celles dont on ne se souvient pas vraiment, unies, ternes, du blanc et du rose pale. C'était comme si la thérapie commençait dés le couloir; on traque le clinquant, l'éclat, les différences. Enfin la porte s'ouvrît sur la chambre, elle était inondée par la lumière du soleil qui entrait par la fenêtre. Morgane baissât instantanément la tête, réclamant à Pascal de fermer les volets. Le soleil avec ses bras de lumière, apporte le jour et s'immisce partout tel un voyeur. Au contraire de la nuit qui camoufle, enveloppe de son noir manteau, il n'est pas le bienvenu dans l'univers d'un dépressif.

Ici, il n'y avait pas de volets, seulement des barreaux derrière les vitres et à l'intérieur un double rideau de toile grossière, pour tenter d'arrêter la lumière.

En s'asseyant sur le lit, Morgane esquissât une grimace; la literie était trop molle. Aidée de Pascal, elle déballât ses affaires et disposât, tant bien que mal, tout son univers. Ainsi la petite étagère au-dessus du lavabo était-elle la réplique exacte de celle de sa salle de bain. Morgane se raccrochait au monde qu'elle quittait, à son monde : une bouteille de sa boisson préférée, ses bombons sans sucres, son livre de chevet. Tous ces objets pouvaient laisser penser que l'on avait le loisir de tout emmener avec soi, mais Morgane savait bien au fond d'elle que ça n'était pas vrai. Pascal partirait tout à l'heure, alors cet endroit ne serait jamais la maison, sans Jean, ni Pascal.

Dans la chambre, on trouvait aussi une vieille armoire avec une penderie sans cintre et une étagère recouverte de vinyle à grosses fleurs marrons et jaunes. Sur la table de chevet, il y avait un téléphone, sans cadran, juste un simple voyant lumineux et une ligne qui n'atteint que la pièce du personnel médical. Et dans un coin de cette chambre de 8 ou 9 m², une potence en vieil inox, avec 2 maigres branches vides.

Le temps avait passé, déjà il fallait aller chercher Jean à la sortie de l'école; Morgane priât Pascal de s'en aller, elle n'aimait pas les adieux, et dans cette atmosphère lourde, l'instant était encore plus éprouvant.

Un léger effleurement de leurs joues, une caresse de leurs lèvres et Pascal tournât le dos. Il ne put articuler aucun mot, Morgane dans sa tête avait commencé à aligner les petits traits; des groupes de sept barrés d'une diagonale.

Au passage de la porte, Pascal croisât un infirmier qui entrait avec un cathéter, une aiguille et un sachet translucide rempli d'un liquide tout aussi translucide.

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 18:46
 

David est absent de plus en plus souvent; cette fois, il a suivi 2 filles aux cheveux rouges. C'est la seule couleur, en dehors du noir, que je leur ai jamais vu porter. Tous les 3 sont allés en voyage, un week-end, à Amsterdam. J'imagine que leur truc n'était pas l'aspégic et les NTB. Une fois encore, nous avons pu communiquer, il me parlait d'une place extraordinaire où les gens sont assis par terre au soleil. Personne ne regarde, ni ne juge les autres, ça grouille, ça parle en plusieurs langues et puis il y a une sorte de tram qui passe régulièrement; il me disait qu'il ressemble à notre 68 de Noailles. Tu peux même fumer un joint, les flics ne disent rien. Quand je lui ai demandé ce qu'il était, vraiment, allé faire là-bas, il m'a répondu : « business ».

Les journées, au lycée, étaient toujours aussi longues, mais l'approche de l'examen final nous occupait beaucoup. Sur les conseils d'un de nos prof, Sabrina et moi fabriquions des fiches de résumé sur à peu prés tout le programme. Avec le recul, je crois que le travail, je veux dire l'utile, était surtout de lire les cours et les livres pour en faire ces résumés; le résultat, c'est à dire les fameuses fiches n'avait que peu d'importance. Enfin, nous nous en servions pour nous interroger mutuellement. Très souvent, dés le printemps, nous prenions le 35 pour nous rendre sur les énormes blocs de béton de la jetée qui plonge dans l'eau à la sortie de l'Estaque, quand on prend la route des calanques du nord Marseillais. Nous dépensions des instants à s'embrasser plutôt qu'à lire et relire nos fiches; Sabrina avait toujours un Raider et une petite bouteille d'eau, nous les partagions. C'était en mars ou avril, les vacances de printemps étaient proches et nous prenions quelques libertés avec nos emplois du temps afin d'organiser ces moments de révision. Ce sera à tout jamais, pour moi, des « purs moments »;sous cet angle, je pouvais supporter cette ville que je n'aimais globalement pas. Si peu de végétation, tout si sec, balayé trop souvent par un mistral violent. La chaleur écrasante, dés le printemps. Et cette guerre entre les quartiers nord, sorte de melting-pot populaires et ceux du sud, cossus et abritant les plus riches. Un guerre qui se finissait pourtant boulevard Michelet, au Vélodrome, derrière « l'OÊME ».

La quinzaine de vacances débutait et nous avons décidés de nous accorder, tout de même, 2 ou 3 soirées escaliers!

Sur ces marches, véritable marché aux cancans, j'appris que David « dealait grave » et qu'il était très officiellement un « junkie ».

Il est loin, le temps de notre enfance, tout a évolué; aujourd'hui, il est difficile de trouver un travail, d'aller au cinéma avec toute sa famille, de partir en vacance, il est même difficile d'être un voyou! Toutes les règles ont changé, des rapports de force, souvent brutaux, se sont installés entre les gens. Je voyais de plus en plus de têtes inconnues traverser ma cité.

Tout a commencé par l'écho lointain, au début, d'un pas de course. Norbert, Rachid, Sabrina et moi, nous étions assis au pied du 16, à défaire le monde que l'on voyait de nos fenêtres, et à le remplacer par un, idéal, les idées les plus loufoques et naïves fusaient à l'envie. Après le bruit d'une course, d'autres de mobylettes devenaient plus clairs et surtout plus proches.

Soudain entre notre vieux toboggan et notre tourniquet rouillé, à la faible lumière des réverbères fatigués, j'ai vu passé une fusée humaine; à ses trousses, pratiquement sur ses talons, 3 « bleues », chacune avec un passager derrière. En une seconde, j'ai reconnu David, il courait.

J'ai hurlé à mon frère de rentrer avec Sabrina et à Rachid de ne pas la quitter jusqu'à sa porte. Elle me criait de rester, de ne pas y aller; Norbert aussi.

La course avait traversé la cité, comme je sortais moi aussi, j'ai vu la dernière mobylette s'engouffrer dans une petite rue, je la connaissais bien, il n'y avait rien, sauf une société de transports frigorifiques et une école catholique, autant dire personne à cette heure de la nuit. Quand j'ai atteint l'entrée de la rue, il n'y avait plus que le bruit au loin de moteurs s'éloignant.

Contre le mur de l'école, je pouvais voir une forme à terre. Je savais.

Essoufflé, je tombe à genoux à côté du corps, c'est lui, je sais.

Je le retourne, sa chemise blanche est marquée de 3 tâches rouges. Il s'étouffe, râle quand je le soulève pour prendre sa tête sur mon bras. Je ne peux articuler le moindre mot, je suis complètement figé, inutile, avec David qui se vide de son sang sur moi.

Sorti de nulle part, je me jette, hors de ma chaise, je bouscule Antoine pour arriver jusqu'au petit lit de l'infirmerie, je prends dans mes bras l'enfant qui venait de tomber et à grands pas rapides, je me dirige vers la porte de sortie, en marmonnant : « Tiens bon, je vais te porter sur mon dos jusqu'à l'hôpital, tiens bon David! ».

Dans un dernier effort qui lui provoque une quinte et lui arrache un cri de douleur, David me souffle à l'oreille :  « Laisse béton, je pars. Hé, hé, tu l'as toujours l'anneau? » Ma main cherche sous mon sweat-shirt, oui, David, je l'ai, autour de mon cou, t'en fais pas; ces mots n'étaient pas sortis de ma bouche, simplement, je les avais pensé. L'enfer ou le paradis venait d'emporter, David, avec lui. Je suis là, assis sur un trottoir, entourant, protégeant mon ami avec mes bras tout autour de lui; je ne sens même pas l'eau froide du caniveau qui coule entre mes pieds et a pénétré mes baskets de toile. A bien y regarder, je suis comme ces saules au bord d'une mare, qui m'ont toujours procuré une étrange sensation. Comme un sentiment de force, un bouclier avec le rideau de leurs branches, tombant jusqu'au sol.

Quand je sors des nuées, que ma raison reprend le dessus, je me trouve devant Sabrina; debout devant la porte, elle m'empêche de sortir. Peu à peu, je l'entend aussi, elle me dit que tout va bien, que l'enfant n'a rien du tout, une simple égratignure, que je ne dois pas m'inquiéter. Une autre petite voix me dit : « Je m'appelle pas David, moi c'est Arthur! ».

 

Quand quelque nuit, je me réveille en sueur, c'est toujours à la fin du même rêve :Je suis assis contre un saule pleureur, à côté de moi, sur le sol, il y a une chemise blanche fleurie de coquelicots.

Il est des sacs à dos lourds à porter!

Quelques jours après, nous avons enterré David, dans le cimetière qui était quasiment au pied de notre cité, coincé entre une petite route et le mur d'un immeuble; il n'aurait pas souhaité autre chose, je pense.

Encore quelques jours après, les gars en mobylette ont été arrêtés et placés en maison de correction; une banale affaire de rivalité entre dealers. Décidément, mon monde avait bien changé; la mort d'un gosse était une « affaire banale » et la violence tenait le haut du pavé.

Devant le marbre gris, je me suis juré : Carpe Diem.

 

 

 

 

FIN.

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21 novembre 2009 6 21 /11 /novembre /2009 02:21
 

Il y avait ce film, « l'Année de tous les dangers », nous étions allés le voir au cinéma Le Paradis. Je cois que cette expression caractérise parfaitement bien cette année de terminale, je ne l'oublierais jamais.

Il restait, à peine, une année pour atteindre ce qui était encore, en ce temps là, un précieux sésame.

Cela fait environ une dizaine de jours, depuis l'altercation entre David et Norbert, que la bande, au complet, ne s'est plus retrouvée réunie! Je savais que nos routes n'étaient plus parallèles, que contraints ou libres, chacun avait fait des choix, depuis nos 10 ans.

La soirée est tiède dans ces derniers jours d'août; sans nous être concertés, pour des motifs différents, nous nous retrouvons tous au pied du 16!

Avec Sabrina, nous accompagnions Norbert, à nouveau libre depuis peu, qui voulait respirer, comme il disait; Rachid nous ayant aperçu de son balcon, est descendu nous rejoindre; quant à David, il revenait du centre ville. Je ne sais pas pour les autres, mais je suis quelque peu mal à l'aise. Je ne peux plus croiser les yeux de David sans avoir envie de lui foutre des coups de pieds au cul. Puis, il y a l'esprit de Marco qui s'invite et planne comme une traînée de souffre, je m'attendais à chaque instant à voir les flammes de l'enfer. C'est David qui a parlé le premier:

-  « Salut Sab, tu vas bien ma belle? »

  • « Ho, David, et toi, on te voit plus! »

  • « Bah, ici, là, jamais très loin; business, business, j'suis pas mal occupé. Eh, Norb, pardon pour l'autre soir, je délirais.»

  • « T'en fais pas, poulet, je sais même plus de quoi tu parles. »

David maintenant, est planté en face de moi, au pied des marches, il nous regarde avec insistance, Sabrina et moi.

  • « Regarde-moi ces deux, hein les mecs, on a toujours su, même avant eux! Sabrina, t'as pas envie d'un vrai mec? Comment vous allez, tous les 2? » Disant cela, il nous attrape tous les 2 dans ses bras.

Rachid a un air approbateur et satisfait, Norbert ricane.

L'instant court, de cette soirée, nous avons retrouvé nos heures d'antan, passées à refaire le monde, on a finit sur le tourniquet; il aura fallu les cris de Mr Cellini qui voulait dormir et que nos rires idiots dérangeaient.

Norbert, qui reprend, petit à petit, la sensation d'un espace sans murs, dit qu'il est fatigué; Sabrina, elle aussi, veut monter se coucher. Alors chacun regagne son chez soi. David choisit ce moment pour me tendre une bague qu'il venait de retirer d'un de ses doigts. De couleur argent, elle portait l'inscription « Carpe Diem », il me dit en me la donnant : « prends, même si on passe un long moment sans se voir, tu m'oublieras pas. C'est du latin, ça veut dire un truc du genre: faut profiter, enfin je crois. Mais bon on s'en fout de ce que c'est! C'est juste moi qui te la donne.»

Son visage disparaît avec les portes de l'ascenseur qui se ferment, je tiens cette bague, que je tourne et retourne machinalement dans ma main; je sais bien, je sens qu'un truc s'est passé, mais je regarde le sourire de Sabrina, et je ne décode rien !

L'heure de la rentrée arrive, c'est l'année du bac; il est interdit de craquer maintenant. Les grilles s’ouvrent enfin, libérant un flot bruyant qui nous entraîne vers les panneaux d’information orientant les élèves vers leurs salles respectives. Nous commençons ce qui devrait être notre dernière année et je prends connaissance, comme pour la première fois, de ce sacré bon vieux lycée!

Les salles et même les bâtiments sont plutôt anciens, les bureaux marqués à jamais du passage de plusieurs générations d’élèves. A cette époque deux grandes familles de mode se disputent les faveurs de la jeunesse : les baba cool et les disco. La panoplie des premiers est constituée de jeans Levis’ serrés, usés, vieillis et droits, de chemises blanches, grandes, exhumées des greniers de grands-parents, de vestes matelassées « style inde » achetée chez Exo, de Camarguaises aux pieds, de foulards de baroudeur du désert à la manière des aventuriers, des vrais, ceux du Paris Dakar ; enfin de besaces de G I en toile kaki, en guise de cartable, taggée à mort. Il y a aussi les parfums patchoulis ou ambre. Du côté de la musique, il faut écouter Genesis, les Pink Floyd, Deep Purple, The Police, AC/DC, The Doors, Led Zep. Et si on possède une moto, c’est à coup sûr une XT 500 Yam. Les « disco » eux, portent des Collèges aux pieds et écoutent Saturday night fever en boucle, et pense que c'est dans Supernature que l'on entend le plus grand moment de toute l'histoire de la batterie! Kenny Clark pardonne-leur, ils ne savent pas...

Et surtout, il y a le foyer ! Situé dans l’aile la plus reculée des bâtiments, ce local complètement réservé et géré par les élèves a un air de liberté absolue. On y joue aux cartes, on y fait de la musique et on flirte ; pas de pions ni de profs, aucune autorité adulte, c’est la maison bleue, oui on y fume aussi…

Rachid et Sabrina recommence leur compétition à coups d'équations, et moi je commence à ouvrir un peu plus de livres.

L'heure des grands choix sonne avec cette année de bac; cette fois, il faudra vraiment savoir.

Je suis quasiment certain pour Rachid, nous en avons parlé tant de fois, il compte poursuivre dans une voie scientifique. Plutôt un parcours universitaire, un doctorat au bout. Pour David, je ne suis sûr de rien, sinon qu'il ne doit pas, en ce moment, se préoccuper beaucoup de son avenir. De toute façon, ses absences répétées, les résultats liés, ne lui laissent aucune perspective ni d'obtenir son bac, ni de continuer après.

Je sais que Sabrina, depuis longtemps, a décidé de faire une école d'infirmières; elle a tout prévu ! Ce diplôme, en plus de son BAFA, lui permettront de s'occuper d'enfants.

Et moi? Allongé, dans l'herbe, prés du foyer, je regarde, à m'en faire pleurer les yeux, le ciel bleu. Sabrina a posé sa tête sur moi, nous ne parlons pas, nous sommes simplement là, à profiter d'une heure de permanence. Je suis si bien, et je le dis à Sabrina :

- « Tu sais, je crois que je suis si bien, si heureux, que mon coeur va exploser de joie. »

Quand soudain, venant de la ville lointaine, une explosion retentit, couvrant le dernier mot de ma phrase. Je ne peux pas dire que j'y ai vu la main d'un quelconque dieu, mais un signe du destin, une réponse à mes interrogations, oui!

Alors j'ai pris la main de Sabrina, et je lui ai demandé si elle voulait bien qu'on se marie. Je savais ce que j'avais envie de faire, de vivre. Immédiatement, et sans la laisser reprendre ses esprits, ni même répondre, je le lui dis; je vais préparer un BAFD, ainsi nous pourrons, si c'est ton voeu le plus cher, donner de nous mêmes, à des enfants.

Quand, enfin, je consens à arrêter la course de mon cerveau et à poser les yeux sur Sabrina, je vois une larme sur sa joue et sa tête qui balance horizontalement. Elle prend mon visage entre ses mains et m'embrasse.

C'est, forts de nos projets, que nous reprenons les cours. Les semaines passent, la fin du premier trimestre s'annonce, parfois les journées me semblent monotones, les soirées aussi; tout a changé, notre bande n'existe plus, mon frère est inactif, il n'ose plus aller vers le monde extérieur, ne cherche pas à réintégrer la société. Je suis en colère, je ne peux rien pour l'aider. Ce n'est pas qu'il ait l'air malheureux, il n'a pas d'envie, de demain, c'est tout. Parfois, nous parlons du Blond, c'est encore un des rares sujets qui l'enthousiasme un tant soit peu. Il est triste pour lui, mais il dit aussi que c'est ainsi, que l'on peut pas sauver les gens d'eux-mêmes.

Heureusement, tous les matins je me réveille et ma première pensée est pour Sabrina. Je m'accroche à cette réalité, pleine de promesses plus belles que l'univers qui m'entoure.

Ma mère ne pleure plus, mais elle s'est fait un devoir quasi mystique de donner toute son attention à Norbert; sans doute un sentiment de culpabilité! Sentiment qu'il doit, lui aussi, ressentir, car il accepte ce débordement, ce trop plein, sans broncher, sans doute pour ne pas la peiner.

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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 00:26
 

J'entrais en troisième, je perdais mon frère, pour deux ans, une éternité en fait. Je crois que mes visites au parloir ont eu l'effet d'un coup pied aux fesses. Je suppliais Norbert de me parler de lui, de ses journées en prison; j'avais vu tant de films, je craignais les horreurs les pires. Mais lui, ne répondait jamais ou très vaguement, en revanche, il exigeait de voir mon carnet de notes et mes bulletins trimestriels, il me fixait l'objectif d'obtenir les félicitations à chaque conseil de classe ! Trop haut, pour moi, je n'y suis jamais arrivé.

Notre mère allait, elle aussi, le voir régulièrement, les soirs de visites, elle partait travailler en pleurant, et je l'entendais rentrer le matin, toujours en pleurant.

Heureusement, cela n'a duré que deux mois; j'avais de plus en plus de mal à l'entendre pleurer, sans rien y pouvoir faire, ça me rongeait. Mes seuls véritables soutiens, étaient Sabrina et David. Rachid pour sa part était complètement impliqué dans ses études; lui, décrochait les félicitations de chaque conseil de classe, et il passait tout son temps hors de l'enceinte du collège à faire des devoirs, non demandés, à lire et relire ses livres scolaires. Je crois même qu'il refaisait les contrôles, une fois que les profs les avaient rendus corrigés. Alors nous nous voyions moins, mais il restait un pote de la bande et relâchait le dimanche matin et encore les soirs d'été.

David suivait la voie aménagée, il pensait même pouvoir revenir dans le circuit scolaire classique à partir de la seconde. Son professeur principal lui ayant dit qu'avec un carnet de notes costaud, du travail et les recommandations du conseil de classe, il pouvait prétendre à une section B.

David n'était pas bête, il se trouvait avec des élèves plus âgés que lui, et n'aimait guère les contraintes de l'école ni d'aucune sorte en fait. Il y avait à cela certaines raisons.

Ginette rentrait au petit matin, et tombait sur le canapé de la salle à manger. Là, elle traînait jusqu'au soir où elle repartait travailler. Elle passait ses journées à fumer et à boire du café soluble en regardant la télé; tous les soap opéras. Elle rêvait ainsi d'un monde aseptisé où un gentil docteur tombe amoureux d'une malheureuse et lui offre une vie douce et agréable. Dans son univers, elle avait aussi quatre chats; c'est un truc que je répétais à David, chez toi, ça pue grave. Il n'y avait qu'une chambre dans l'appartement, c'était la sienne; il devait, en outre, s'occuper de tout, le ménage, les courses et les moindres démarches administratives. Ginette, prétextant une fatigue systématique, en fait une paresse chronique, exigeait énormément de son fils, l'engueulait souvent et n'avait cessé de le battre que depuis qu'il la dépassait d'une tête. Il était totalement livré à lui même, et trouvait chez nous des moments familiaux depuis le CP. Notre mère s'était pris d'affection pour lui, le sachant seul, elle me disait très souvent de le ramener chez nous. C'est ainsi qu'il est devenu comme un frère.

Ginette semblait n'éprouver aucun sentiment maternel à son égard, j'étais triste, chaque fête des mères de voir ce gamin apporter une fleur à cette mère qui n'avait que reproches à la bouche pour lui.

Il y avait eu cet homme, déjà marié, qui avait proposé d'assumer financièrement sa paternité. Mais Ginette avait refusé le « pognon » comme elle disait; c'était lui ou rien et elle n'avait rien eu. Je crois que David devait ressembler physiquement à son père, pour son malheur, car je pense que c'est cela que Ginette lui faisait payer.

Tout l'immeuble prétendait qu'elle était entraîneuse dans un bar, quelque part en ville. Voilà les cartes, au départ, de David.

Alors quand on leur a coupé l'électricité, il a dérivé le courant à partir de la minuterie de la cage d'escalier, il empruntait les ampoules dans ces mêmes cages d'escaliers ou dans l'ascenseur. Il a visité des caves, je crois même, sacré David, qu'il a piqué des trucs dans celle du père de Marco.

Toute cette année de troisième, il a pourtant réussi son pari, le conseil de classe a autorisé son passage en seconde B.

Il entamait un nouveau cycle, nous étions tous dans ce cas; Sabrina, pour sa part avait choisi l'aventure C, de mon côté, j'optais pour une section A, pratiquement sans maths, enfin je tenais ma vengeance !

David avait gardé de nombreux contacts avec quelques anciens de sa section aménagée; la plus part, avait arrêté la scolarité, trop heureux, d'ailleurs. Pourtant et malgré ce retour réussi, inexplicablement, il s'impliquât de moins en moins dans ses études, et ne venait plus au lycée que temps en temps, afin que sa mère continue à percevoir toutes les aides liées à la scolarisation d'un enfant.

Puis il y avait la fille aux cheveux oranges : Dominique. Elle était en seconde littéraire, et était en plein rejet du père, un flic et en admiration totale devant un frère, ersatz de Morrison qui chantait dans un groupe obscur et incompris, ça va de soi! Ensemble, ils avaient un délire autour de la nature, des arbres plus particulièrement. Elle appelait David son petit saule; une fois, après un trip, on les a vu assis sur un trottoir, les pieds nus dans le caniveau. Ils disaient qu'ils faisaient tremper leurs racines... Elle aimait Beaudelaire, Rimbaud, Jim Morrison, bref tous les poètes maudits et le haschisch. Il s'intégrât dans sa bande, se mît à lire, à dévorer, tout Sartre, tout Camus. Puis dans des soirées narguilé, ils refaisaient le monde, pensaient que Renaud avait retrouvé son flingue et qu'il ne fallait pas jouer avec les nerfs de Béranger. Il rencontrât aussi, dans cette bande, une paire de gothiques, Natacha et Caroline. Elles étaient en dehors de tout, snobaient absolument tout le monde et semblaient toujours avoir un truc sur le feu ailleurs. Natacha faisait du Russe, en seconde langue et sortait avec un étudiant des Beaux Arts, plus âgé; j'ai vu, un jour, une de ses oeuvres, en fait un morceau de grillage cloué sur une planche, sur lequel il devait avoir projeté du plâtre, sans but défini; il appelait ça son triptyque à la Vie! Caroline, elle, ne parlait quasiment que d'Espagne et de henné. Tout ce petit monde vénérait, comme sa bible, « Moi Christiane F., droguée, prostituée » et s'évadait régulièrement à Amsterdam.

Sabrina et moi, les appelions les Herbes Folles.

Nous nous vîmes moins à partir de cette époque, sans que l'on puisse poser un moment, une date précise au ralentissement de notre relation. Je ne pouvais pas, parce que je n'en avais pas envie, le suivre sur cette autre chemin. Nous avons continué à nous croiser quelquefois dans la cité. J'ai rencontré Dominique, un soir avec lui, Sabrina était là aussi; il n'aurait pas du me questionner à son sujet, me demander mon avis, ou alors j'aurais du me taire, mentir, je ne sais toujours pas ce que doivent faire les vrais amis, de la peine, dire ce qu'ils pensent? Je me souviens parfaitement lui avoir dit que je trouvais qu'elle admirait vraiment beaucoup trop son frère, un type qui vivait en marge de tout, tentant de percer avec son groupe Naja, pâle copie des Doors. Je trouvais qu'adorer de manière systématique, des idoles qui nous vendent de la liberté et de l'anarchie, du rejet de tout système et qui pour tout échantillon n'ont que de la poudre au nez et peu de vent à leurs semelles, était en fin de compte simpliste et occultait une partie du talent et de la beauté de leurs oeuvres.

Cette année de seconde fût sa dernière année au lycée, et comme un feu d'artifice, il brandissait en guise d'étendard : « Flash ».

Ce matin de septembre, la rentrée avait quelques relents de nostalgie, de regrets; nous n'étions plus que trois, de la bande, à continuer en première. Rachid toujours à fond, qui rendait son père tellement fier, Sabrina qui s'accrochait, d'ailleurs dans la même classe que lui et moi qui, au minimum de l'effort produit, pouvait toujours faire mieux, mais faisait juste assez pour être encore là l'année suivante.

L'été, sur les escaliers n'avait plus le même goût, mais un autre que j'appréciais tout autant. Marco n'était plus beaucoup avec nous, David, de moins en moins et Norbert quant à lui tirait ses derniers mois. Alors entre Rachid et Sabrina, les conversations commençaient à devenir très sérieuses : un boulot l'été prochain ? Après le BAC ? Quelles études, pour quel boulot ? Nous sentions que des échéances, et sans doute pas les moindres, pointaient leur nez, ici, sur nos escaliers sales et puants.

Rachid prît la décision de bien réfléchir, normal; Sabrina et moi, prîmes la décision de faire l'amour. C'était une époque bénie, et je pèse mes mots; le SIDA balbutiait, très loin de chez nous, ses premiers pas, il n'était pas encore l'ennemi public n°1 du sexe. Il suffisait de trouver un lieu et un partenaire qui soit d'accord. Je revois les larges et interminables escaliers, 102 marches descendant de la gare, pour mourir au bord du boulevard d'Athènes; l'hôtel était situé quasiment à leurs pieds. Pas le Carlton ou le Martinez, nous n'avions que notre argent de poche pour payer; 50 francs pour quelques heures l'après-midi. Aujourd'hui, je connais l'adage qui veut que la première fois soit une catastrophe, mais je m'en fous ! Moi je pense, et je penserai toujours que c'était fantastique, tout simplement parce que c'était elle, parce que c'était nous. Et puis faire l'amour avec une fille qui portait des Camarguaises, un Lévis', une chemise blanche de grand-mère, trop grande, et un foulard mauve, rose et fuchsia, c'était comme rêver éveillé ! Cette fois là, en cette fin d'après-midi, le soleil est descendu à travers ses boucles brunes dans lesquelles j'avais perdu mes doigts.

Parfois, avant d'aller dans cet hôtel, nous allions à la bibliothèque; il y avait un service d'écoute de musique. On choisissait souvent l'album Harvest de Neil Young, puis chacun un casque sur la tête on écoutait les ballades en se regardant.

David, donc, ne venait plus au lycée, sauf à la sortie, pour Dominique, puis pour Patricia; je n'ai jamais vraiment su, mais il a arrêté de sortir avec Dominique, pour sortir avec une des copines de sa bande. Ses cheveux étaient noir corbeau, ses vêtements noirs, ses idées aussi. Personnage pré figuratif du look gotique, elle était une sorte féminine de Robert Smith. L'univers littéraire était le même qu'avec Dominique, ce qui évoluât, c'est la planche vers l'extase. Ensembles, ils firent quelques voyages à Amsterdam.

Ce fût alors de plus en plus difficile d'entretenir une relation, même épisodique, avec David. Sonné aux exta, trop souvent, alcoolisé la moitié de la journée, je ne pouvais plus croiser son regard.

J'étais anéanti, je sentais que je le perdais, je ne pouvais, je ne savais pas quoi faire. Norbert, lors d'un de nos derniers parloirs, me conseillât, très vivement, de l'oublier, Sabrina, elle, me dressât la liste des structures qui pouvaient lui venir en aide, mais en tout cas, elle pensait que seul je ne pouvais pas grand chose.

L'année avançait, il fallait bien continuer à vivre, d'autant que Ginette m'avait envoyer promener lorsque je l'avais quasiment supplié d'aider son fils; elle m'avait dit : « et moi, tu crois qu'il pense à moi, et moi qui va m'aider ? ».

Heureusement, avec Sabrina, nous avions de bons moments. Parfois le mercredi après-midi, quand nous n'allions pas à notre hôtel, nous allions danser au Campus. C'était la pleine époque du Hard Rock pour les uns et du Disco pour les autres; nous étions de la première catégorie, et transpirer quelques heures, des décibels plein les oreilles, nous transportait sur une autoroute pour l'enfer, c'était assez antisocial de hurler police milice; tout ça c'était à cause de la nuit, qui en venant sonnait la fin de la récréation, rappelant Roxanne et laissant, pour toujours en moi, ce message :

« For those about to rock, we salute you ».

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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 14:28
 

Je le regardais toujours avec des yeux écarquillés, depuis petit, il était mon idole, je le trouvai tellement fort.

Il était plus âgé de six ans, je l'avais surnommé « Nono », en référence au personnage d'un dessin animé que je regardais à la télé!

Je me souviens des matins, sur le chemin de mon école, il m'accompagnait, et veillait à ce que je rentre bien derrière les grilles; à la fin de la journée, très souvent, je voyais encore sa silhouette, appuyé contre un arbre, il m'attendait. Plus tard, une fois rentré chez nous, il me mettait à la table de la salle à manger, il ouvrait mon cartable, posait devant moi tout son contenu, et invariablement me disait la même phrase :  « Travaille, y'a pas ! ».

Les soirs d'hiver, ma mère allumait la lumière en m'apportant un chocolat chaud, tout fumant et deux tartines de pain.

Aujourd'hui encore, mais déjà à cette époque, ma mère se faisait du souci pour nous; elle travaillait la nuit dans un hôpital, ce n'était pas simple. J'ai toujours pensé que ma mère ne dormait pas; je ne la voyais jamais aller se coucher, dans mon imagination d'enfant, elle était tout à la fois Batman et Superman. Depuis le départ de mon père, elle avait la charge de deux garçons, de notre appartement et de son boulot. Je ne lui voyais aucune occupation, aucun hobby, à part quelques voisines, elle ne semblait pas avoir d'amies et que je sache, elle ne sortait jamais sans nous.

Une fois, je l'avais surprise, elle parlait avec la mère de Sabrina. Elle lui racontait qu'elle voyait le temps s'enfuir, toujours un peu plus, depuis le départ de son mari; elle disait sa profonde tristesse, combien elle s'était sentie trahie et même qu'elle ne pourrait plus jamais faire confiance; une phrase, en particulier, m'a marqué à tout jamais : « C'est horrible, quand j'y pense, mais depuis que Pierre m'a quitté, j'ai arrêté d'être une femme, je ne suis plus qu'une mère! »

Elle était aide soignante, travaillait donc, de nuit, et notre père était parti quand j'avais 6 ans.

Il travaillait sur le port, pour un grand transporteur maritime. Norbert m'a expliqué que c'était le boulot de nuit, de notre mère, qui avait fini par tuer leur couple. Moi je ne voyais qu'une chose, ma mère était là, chaque fois qu'il le fallait pendant la journée. C'est aussi pour cette raison qu'elle avait choisi, puis gardé, ces horaires, et aussi parce qu'elle était mieux payée. Pourtant sa plus grande trahison, ne fût pas de quitter ma mère, pour une de ses amies, mais plutôt d'avoir divorcer de Norbert et moi.

Après leur divorce, il revînt nous chercher quelques fois, nous allions au Rôve, dans les calanques, ou au parc Borrelli; là, ils nous achetait une glace, nous faisions de la voiturette vélo. Même Norbert, plus âgé, plus conscient et qui vivait plus mal que moi cette séparation parentale, appréciait pourtant visiblement ces moments; je cois pouvoir dire que nous passions, avec notre père, des instants comme jamais, même du temps où nos parents étaient encore mariés.

Puis, une après-midi que nous étions au bord de l'étang du parc, à jeter du pain aux canards, il nous annonçât que Nicole, sa compagne, était enceinte. Encore une fois, j'accueillais bien mieux la nouvelle que Norbert; il nous assura que cela ne changerait rien entre nous, qu'il continuerait à nous voir et que c'était même un heureux évènement, nous allions avoir un petit frère ou une petite soeur.

Depuis le divorce, nous n'avions plus vu Nicole, ma mère s'opposait, violemment, à ce que cette pou... souille aussi ses fils. Mon père avait une seconde vie, qui m'était totalement inconnue, je n'avais aucun moyen de l'imaginer chez lui, mais je n'en disais rien, pour ne pas faire souffrir ma mère.

Pendant les mois de la grossesse, nous le vîmes un peu moins; je pensais, c'est normal, il doit être auprès de la femme qu'il aime, il doit la soutenir. Norbert, lui, commençait à être de plus en plus aigri, vis à vis de notre père. Il me tenait des discours auxquels je n'entendais rien; il y était question de se protéger, de ne pas se faire d'illusion, etc...

Vînt le moment de l'accouchement, ma mère pleurait tous les jours. Elle s'imaginait que nous ne le savions pas, mais il y a des choses que les parents ne peuvent cacher à leurs enfants.

Sans que je sache pourquoi, et apprenant durement, le sens des propos de mon frère, je dus me résoudre : il y avait, maintenant 2 mois de passés depuis l'accouchement, et je ne savais même pas si j'avais un frère ou une soeur. Plus une seule nouvelle, Norbert refusait de faire un pas, pour ma part j'en avais gros sur le coeur; ce fût ma mère qui se dévoua pour lui téléphoner. Il fallut bien se rendre à l'évidence, le disque au bout du fil, nous apprenait que le correspondant avait changé de numéro! Stupéfaction, la pension, même celle du mois dernier, était toujours virée, nous n'avions rien vu, rien pu voir, venir. Il avait déménagé, il nous fallût accepté ce fait! Nous finîmes par apprendre qu'il était installé au Havre.

De notre père, il ne fût plus jamais question entre nous trois; absent de nos conversations, je sais qu'il occupait une partie au moins de nos pensées et que son départ influait sur nos actes, nos décisions, même si nous n'étions pas conscients de cela.

J'avais six ans, Norbert douze, il se mît en tête de devenir la présence masculine de la famille. Ainsi, il suivait ma scolarité, à sa façon, et négligeât sa vie. Ma mère, comme elle le confiât beaucoup plus tard à son amie, devînt mère avant tout et contre tout, y compris sa propre existence.

Au début de cette situation nouvelle, désemparée et empêtrée dans son malheur, elle me laissait sous la responsabilité de Norbert, la nuit quand elle partait travailler; bien sûr, il avait l'ordre de grimper deux étages, pour aller frapper à la porte de Carole, la mère de Sabrina, si quoi que ce soit arrivât. Invariablement, nous finissions par monter manger chez Carole; elle était ainsi plus tranquille. Après les repas, je passais des heures à jouer avec Sabrina, dans sa chambre. Nous étions dans la même classe de la même école, nous habitions dans le même immeuble et nos mères étaient amies, je ne sais pas si le destin existe ou si nos routes sont prédéterminées, ici, les chemins se croisaient très souvent. Quelquefois, Norbert était venu avec nous, mais sans doute à cause de nos jeux puérils pour lui, il finît rapidement par redescendre chez nous. Je pouvais rester jusqu'à neuf heures.

Sabrina était un peu garçon manqué, et moi, moins brute que les autres petits garçons, il faut croire que c'est ce qui nous a soudé. Nous avons grandi l'un à côté de l'autre, nous avions chacun deux chez nous et il suffisait d 'en trouver un pour dénicher l'autre. Certains matins, je devais monter deux étages pour retrouver certaines de mes affaires disparues; nos vies étaient éparpillées dans les deux appartements de nos mères.

Quatre années étaient passées, et ce fût un tournant; Norbert avait seize ans, il décidât d'arrêter l'école, avec l'accord de notre mère, il entrât en apprentissage, chez un garagiste. Je n'avais rien vu venir, je ne voyais pas ce qu'était sa vie, il était mon grand frère, fort et j'étais trop jeune pour sentir son mal être. Notre mère ne s'était pas opposé à sa volonté, car il collectionnait les mises à pieds et les carnets de notes exécrables. Ensemble, ils firent les démarches pour trouver un employeur, un collège d'enseignement technique, fournir tous les documents nécessaires et valider son engagement dans cette voie. Il allait au collège une semaine sur deux, pour l'enseignement théorique et général, simplifié par ailleurs, et l'autre semaine chez son employeur pour la formation pratique. Cela semblait lui convenir, et quoi qu'il en soit exactement, il était assidu aux deux parties de son enseignement.

Pour ma part, j'entrais au collège, en sixième, Sabrina, Rachid, Marco et David aussi. C'en était terminé de nos tranquilles balades pour aller ou revenir de la petite école du quartier; le matin nous prenions un bus, il faisait encore nuit, de nouvelles personnes entraient dans nos vies, un autre monde frappait à nos portes. Nous squattions la banquette du fond, j'étais toujours à côté de Sabrina. La répartition dans les différentes sixièmes nous avait séparé, exception faite de Sabrina et moi; ils nous avaient laissé ensemble, comme dans l'immeuble, comme dans le bus. Je claironnais qu'elle était mon poteau, pourtant j'éprouvais de drôles et nouvelles sensations. Je ne voulais pas encore y prêter attention!

Les récréations étaient l'occasion de reformer notre bande, et même, si par la force des choses, Rachid, Marco et David se faisaient d'autres copains, il y avait entre nous cinq, un lien indéfectible, c'était sûr!

Quelques cours de musique et de travaux manuels plus tard, notre première année de collège s'était écoulée.

Pour la rentrée de l'année de cinquième, septembre était exceptionnellement doux et il me semblât la voir pour la première fois. Je l'attendais au pied de notre immeuble, quant elle parût; ses cheveux mi-longs et frisés étaient lâchés sur ses épaules, je ne les avais même pas vu pousser cet été! Elle portait une jupe et un haut à bretelles noirs, un ensemble d'Exopotamie, des sandales fuchsia lacées à la cheville, avec une sorte de marguerite sur le dessus du pied; le tissu légèrement transparent offrait à mes yeux son corps en ombre chinoise. Elle se mît à descendre les marches, tout en me regardant, même son regard était changé. A cet instant je me suis dit que le seul bonheur que je voulais laisser aux autres, c'était de la regarder, rien d'autre.

Nous ne nous sommes pas assis dans le fond du bus, mais sur une banquette seuls, je n'arrivais pas à faire autre chose que la dévisager; si ça n'avait pas été Sabrina, la situation aurait pu paraître bizarre, limite glauque. Ses yeux noirs brillaient sous sa frange, j'étais tétanisé, sans aucun courage, il a fallût une intervention de l'eau-de-là pour faire démarrer l'histoire. Sous la forme d'un nid de poule dans la chaussée qui a littéralement projeté mon visage sur le sien. La rencontre de nos nez fût un peu douloureuse, cependant, dans un acte inné, nos têtes se penchèrent inversement l'une de l'autre et nos bouches se touchèrent. Machinalement, j'avais saisi sa main depuis cinq minutes et j'ai senti à cet instant qu'elle serrait plus fort; moi je goûtais ses lèvres, elles étaient douces et sentaient la fraise. Cela n'avait pas duré plus de vingt secondes, et nous n'avions toujours pas dit un seul mot, ni elle, ni moi. Une tape sur ma tête et un grand éclat de rire bêta me sortirent de ma béatitude; c'était David, le menton posé entre les deux dossiers des fauteuils, qui faisait le pitre. J'étais gêné, comme pris la main dans le pot de confiture; je ne trouvai que des imbécillités à lui envoyer au visage : «  tu fais chier David, on peut plus se dire un truc dans cette bande ! ». La tête de David disparût d'entre les fauteuils dans un grand éclat de rire. Je compris ce jour là, que je devais être le dernier au courant de mes propres sentiments. Elle me connaissait si bien, que d'un regard, elle complétait mes pensées, j'en savais tellement d'elle, que d'un regard, je lisais les siennes.

Nous étions trop jeunes pour aller plus loin que de simples bisous et des doigts entrecroisés, et cela ne changeait guère nos rapports, en fait pas assez pour mettre en péril la bande.

Ainsi, il était de notoriété que nous sortions ensemble.

Cette année là, j'éprouvais de nombreux et perturbants sentiments; je me demandais quasiment à chaque instant de la journée, à quoi pouvait penser Sabrina, ce que je pourrais faire pour elle, de quoi elle pouvait avoir envie. Il y avait quelqu'un d'autre en dedans de moi!

C'est en quatrième que David et Marco quittèrent le circuit classique de la scolarité pour entrer en classes aménagées.

Ce fût un petit déchirement de notre bande; car dans ces classes, le système scientifique et élitiste abandonnait les affreux, les turbulents en fait tous les élèves dont il ne savait que faire. On y trouvait le haut du panier des cas sociaux, l'enseignement était ralenti, aménagé et en règle générale, on ne revenait jamais de ces sections.

Pour Marco, je n'étais pas vraiment surpris, mais David... J'en avais mal au ventre. Lui, semblait moins s'inquiéter que moi.

Ils retrouvèrent quelques éléments d'autres bandes de la cité et même d'autres cités voisines. Nous nous étions croisés quelques fois, le plus souvent nous nous regardions de haut, étalant nos muscles respectifs comme une force de dissuasion, nous jouions notre propre West side story.

Cette classe, était aussi la dernière fréquentée par mon frère quelques années auparavant!

Ce qui s'avéra être une chance pour moi, fût aussi ce qui m'éloignât des gens les plus proches de moi jusqu'ici. Mon arrivée au collège, fût une source d'intégration, de nouveauté; je n'ai pas cherché à reconstruire mon univers, recherchant mes semblables, j'ai plutôt aspiré d'autres influences.

Norbert, à présent, avait terminé son CAP, il était engagé par le patron qui l'avait pris en stage. Il donnait à notre mère la quasi totalité de son salaire, cela arrangeait bien nos affaires. A cette époque, il commença une vie nocturne très active, notre mère pensait à une fille, moi je ne pensais rien, ou plutôt, je ne pensais qu'à moi, en fait qu'à Sabrina, ce qui était exactement la même chose, je ne nous voyais plus qu'en entité unique.

En réalité, la majorité des sorties nocturnes de Norbert, l'amenait aux abords du port; il retrouvait des gars, qui remplissaient le coffre de sa voiture de marchandises; et lui les amenait à son patron, au garage. Il était ni plus ni moins que transporteur, dans un recel d'objet volés aux déchargements de bateaux ou de camions. Des cigarettes, des montres, de l'alcool, des équipements audio et vidéo, tout ce qui avait une forte valeur marchande et une chance de revente dans la rue proche du 100%. Le réseau était bien en place, il n'était qu'un exécutant, mais ça pouvait mener directement au tribunal. Il ne s'agissait plus de casser des boites à lettres ou d'uriner contre la porte d'un voisin qu'on aimait pas.

Dans les villes portuaires, ce jeu du chat et des souris est un grand classique du genre; il laisse sur le carreau, les petits, ceux qui travaillent dans la rue. Mais les organisateurs, eux, sont bien trop prudents, il n'existe pas de lien avec leur piétaille qu'on arrête, ou du moins aucune preuve établissant ce lien.

Bien entendu, une nuit, Norbert fût pris au moment où il embarquait, dans son coffre, quelques magnétoscopes. Menottes aux poignets, il fût conduit dans les bureaux de la BRB et interrogé plusieurs heures. La filière était sous surveillance depuis quelques temps déjà, les flics n'avaient pas vraiment besoin de renseignements, mais plutôt de confirmations. Simultanément, le patron du garage fût, lui aussi, arrêté cette nuit là; restait le maillon juste au-dessus, plus gros gibier, sans être le fermoir de la chaîne. Cette personne venait les lendemains des opérations, prendre les dernières nouvelles et surtout le détail complet du butin à revendre. Au bas de la petite rue où se trouvait le garage, il y avait un bar, bien nommé : bar des routiers. Ainsi, devant un café, on faisait les comptes ! Le patron du garage avait été amené pour une confirmation visuelle de son contact, une fois réalisée à travers la vitrine, deux flics en civil entrèrent dans le bar. Brassards oranges au bras, ils se dirigèrent sans hésitation vers l'individu désigné; l'homme ne chercha même pas à s'enfuir, pour éviter toute bavure, il posa sagement ses deux mains sur le comptoir, le reste de l'assistance était immobile, interloquée. Il sortait, encadré des deux flics, quand il s'adressa au patron derrière le comptoir :  « Fernand, met le café sur ma note, je vais pas tarder à venir le régler », le tout avec un large sourire.

Le verdict, pour mon frère, tomba et ce fût un choc pour moi; deux ans fermes de prison. Je n'avais rien vu, rien compris, j'avais été incapable de l'aider, de le sortir de cet engrenage. Sabrina me rassurait en me disant que c'était lui, le grand frère. Par bonheur, ou intelligence, il n'avait jamais rien amené à notre appartement, nous ne fûmes donc pas inquiétés, ma mère et moi. Du moins du point de vue judiciaire, car notre mère recommençât à pleurer chaque nuit. Elle cherchât à avertir notre père, mais il n'y eut aucune réponse de sa part, rien, même pas pour Norbert.

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30 octobre 2009 5 30 /10 /octobre /2009 22:45
 

Il y avait une dizaine de marches qui descendaient jusqu'à une porte en tôle; au pied de chaque immeuble, c'était l'accès aux caves des locataires.

En fait, depuis aussi longtemps que je me souvenais, plus personne ne les utilisait. La première fois où je suis descendu, c'était en suivant Marco. Nous étions gamins, et il voulait absolument savoir ce que son père allait faire, si souvent, dans ces caves. Équipés de lampes torches, nous étions excités comme Starsky et Hutch.

Marco était le type, le plus en colère, que j'avais rencontré. Je ne savais pas tout de sa vie, exceptées ce qu'il nommait lui même, ses deux croix en flammes. Deux brûlures d'une immense intensité, c'est l'origine du foyer qui les différenciait. La plus intime et la plus douloureuse, était la mort de son frère aîné. Éric était plus âgé de 10 ans et surtout d'un autre père.

Dans notre petite communauté, les Barelli étaient connus de tous, c'était une famille! Paul, le père de Marco a donné, à son fils, le prénom de son frère. Tous les deux tenaient un bar, du genre où l'on ne se rend pas sans parrainage. Marco senior, avait épousé Michelle, ensemble ils ont eu Éric; Marco n'était pas un ange, et son bar n'était pas celui de César; pour autant, son secteur d'activité, évitait soigneusement la drogue et les armes à feu. Des bouteilles volées, quelques machines à sous, sous contrôle... et quelques tables, en fond de salle, pour quelques bookmakers.

A la sixième tentative, le trousseau de clefs, emprunté à son père, permit à Marco et à moi même d'ouvrir la porte en bois n°31! A cet instant, notre virée a tournée à la plus grande peur de notre vie. Devant le spectacle de cette cave, Marco comprit immédiatement que son père ne devrait jamais avoir connaissance de notre expédition!

A partir de ce jour, entre nous, nous appelions cet endroit : Las Vegas.

Derrière son comptoir, ce soir là, Marco senior servait des clients, quand Paul débarqua, l'air soucieux. Éric adorait traîner avec son père, il était là et jouait au flipper. Les deux frères engagèrent une messe basse qui, visiblement, agitait fortement Marco.

Lors du dernier ravitaillement en alcool, le fournisseur, gourmand, avait fait monter les enchères, en convoquant les chefs de familles d'une seconde filière d'écoulement. Le ton était monté rapidement, et Paul avait emporté le marché avec force intimidation. Mais le venin était inoculé.

Soudain, trois types entrèrent dans le bar; Paul de dos à l'entrée, reconnu immédiatement, entre les bouteilles, dans le miroir en face de lui, deux des entrants.

Une pluie d'éclairs de feu tomba sur le bar; un des éclairs traversa Éric. Je crois que c'est à cet instant que Marco se leva en hurlant, pour sortir de l'abri du comptoir, derrière lequel il se trouvait. Il tomba, lui aussi, ce soir là, dans ce bar.

Paul n'eut qu'une blessure à une jambe et comme seul rescapé, dix ans de prison.

Ainsi, le couple des parents de Marco junior, est le fruit du devoir et du remord. Michelle rendait visite à Paul, régulièrement; cette femme avait, en un seul soir, tout perdu. Son fils, son mari, sa vie toute entière, ne s'étaient jamais relevés du sol, maculé de sciure et de sang de la salle du bar. Paul était le seul semblant de lien avec son passé qui restait à Michelle. Comme les deux derniers bourgeons d'un vieux rameau, ces deux êtres s'unirent pour maintenir de la vie dans cette partie de l'arbre. En outre, par cette union, Paul voyait sa détention quelque peu adoucie.

Je ne crois pas que Marco soit né de l'amour, il est plutôt l'enfant de deux désespérances. Il grandit, bercé, presque saoulé, par l'image d'un grand frère, trop tôt disparu et qu'il n'avait jamais connu.

Sa chambre était un mausolée, où aucun des objets n'étaient les siens. Il vivait dans le décor, dans la vie d'un autre, dans l'ombre du fantôme d'Éric.

Il vouait une haine à son père qui n'avait d'égal que son admiration pour son oncle qu'il n'avait pas connu, lui non plus.

Une fois sorti de prison, Paul avait repris ses activités au bar et semblait vouloir s'en tenir, pour le gérer, à la vision de son défunt frère.

L'âge faisant, je ne trouvais plus autant d'intérêt à la visite des caves, au contraire de Marco qui, lui, s'y rendait souvent, trop selon moi.

Dans la bande, nous savions tous pertinemment ce qu'il y faisait, mais aucun n'osait ni se l'avouer et encore moins en parler.

Il y avait un défilé, régulier, de types bizarres, pratiquement chaque soir au pied du bâtiment de Marco; et puis il y avait ce pognon, alors qu'il ne travaillait pas! Dans cette période, Marco m'inquiétât vraiment; un soir il débarquât à ma porte, frappant certainement avec ses pieds. J'avais reconnu sa voix, j'ouvris. Il était comme fou, les yeux hagards, il parlait fort aussi :

- « J'en ai marre, je me casse. »

-  « Ho Blond, où tu te casses, déconnes pas ! »

  • « J'en peux plus, de les voir les deux autres chez moi, je me casse. »

  • «  Blond, arrête! Pour aller où et faire quoi! »

  • « Sais pas, m'en fous, je me casse. »

Puis, il a disparut dans l'escalier. Trois jours plus tard, il réapparut, fauché, la tête défaite. Nous n'avons jamais su ni où il était allé, ni ce qu'il avait bien pu faire.

Toujours dans la même période, il me disait qu'il aimait passer du temps seul, dans les caves, dans le noir. Je lui répétais souvent :  « Blond, t'es complètement barré. »

Mais cela n'était rien, la suite de sa carrière s'avéra encore plus destructive.

Un soir, comme tant d'autres, qu'il avait compté et rangé ses petites affaires derrière la porte 31, il entendit des voix, venues du fond du couloir des caves; plusieurs, dont une étouffée. Il maîtrisait tellement le lieu et sa pénombre qu'il put approcher sans se faire entendre.

La suite, nous l'avons lue dans un entrefilet des faits divers du journal :

« Drame dans nos cités !

Une rixe entre mineurs tourne mal dans une cave désaffectée. Il semblerait qu'un des jeunes, en ait tué un autre alors qu'avec deux complices ils s'apprêtaient à commettre un viol collectif. Arrêté, peu après les faits, il n'a pas nié. Il a été déféré. »

L'issue, c'est son père qui nous l'apprit. La fille, victime de la tentative de viol, habitait la cité, avec sa famille; elle avait décidé de ne pas porter plainte. Sans doute la honte et surtout la menace qui pesait. Ceci eut pour effet d'atténuer, voire annihiler complètement, l'aspect « chevaleresque » de l'intervention de Marco, que son avocat essayait de soutenir.

Il avait un revolver, il avait tiré, il y avait un mort, il fut jugé comme majeur.

Aujourd'hui, il est toujours en prison; je ne l'ai jamais revu. J'avais déjà visiter trop de parloirs, vu trop de vies brisées à l'intérieur comme à l'extérieur par la moulinette de la prison.

Trois mois plus tard, ils condamnaient l'accès aux caves.

Je garde, en mémoire, ce qui pour moi, restera comme le haut fait d'arme du Blond : dans un magasin spécialisé, en ville, il avait volé un gyrophare. Je le revois encore, l'exhibant partout dans la cité; le trophée ultime d'un gamin qui cherchait un peu de reconnaissance.

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